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LETTRES PERSANES.



LETTRE XIX.

USBEK A SON AMI RUSTAN.

A ISPAHAN.

Nous n’avons séjourné que huit jours à Tocat : après trente-cinq jours de marche, nous sommes arrivés à Smyrne.

De Tocat à Smyrne, on ne trouve pas une seule ville qui mérite qu’on la nomme. J’ai vu avec étonnement la faiblesse de l’empire des Osmanlins. Ce corps malade ne se soutient pas par un régime doux et tempéré, mais par des remèdes violents, qui l’épuisent et le minent sans cesse. [1]

Les bachas, qui n’obtiennent leurs emplois qu’à force d’argent, entrent ruinés dans les provinces, et les ravagent comme des pays de conquête. Une milice insolente n’est soumise qu’à ses caprices. Les places sont démantelées, les villes désertes, les campagnes désolées, la culture des terres et le commerce entièrement abandonnés.

L’impunité règne dans ce gouvernement sévère : les chrétiens qui cultivent les terres, les juifs qui lèvent les tributs, sont exposés à mille violences.

La propriété des terres est incertaine ; et par consé-

  1. Grandeur et décadence des Romains, ch. XXIII.