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LETTRES PERSANES.


que je vous avais grièvement offensé ; l’un, [1] parce que cet animal était immonde ; l’autre, [2] parce qu’il était étouffé ; l’autre enfin, [3] parce qu’il n’était pas poisson. Un brachmane qui passait par là, et que je pris pour juge, me dit : Ils ont tort, car apparemment vous n’avez pas tué vous-même cet animal. Si fait, lui dis-je. Ah ! vous avez commis une action abominable, et que Dieu ne vous pardonnera jamais, me dit-il d’une voix sévère : que savez-vous si l’âme de votre père n’était pas passée dans cette bête ? Toutes ces choses, Seigneur, me jettent dans un embarras inconcevable : je ne puis remuer la tête, que je ne sois menacé de vous offenser ; cependant je voudrais vous plaire, et employer à cela la vie que je tiens de vous. Je ne sais si je me trompe ; mais je crois que le meilleur moyen pour y parvenir, est de vivre en bon citoyen dans la société où vous m’avez fait naître, et en bon père dans la famille que vous m’avez donnée. »

De Paris, le 8 de la lune de chahban, 1713.

  1. Un Juif. (M.)
  2. Un Turc. (M.)
  3. Un Arménien. (M.)