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LETTRES PERSANES.


cher ; mais, outre que ces sortes de maris n’ont pas sur leurs femmes la même autorité que les autres, il aimait si éperdument ma sœur, qu’il ne savait lui rien refuser. Je la vis encore dans le même lieu et sous les mêmes voiles, [1] accompagnée de deux esclaves ; ce qui me fit avoir recours à notre langue particulière. Ma sœur, lui dis-je, d’où vient que je ne puis vous voir sans me trouver dans une situation affreuse ? Les murailles qui vous tiennent enfermée, ces verrous et ces grilles, ces misérables gardiens qui vous observent, me mettent en fureur. Comment avez-vous perdu la douce liberté dont jouissaient vos ancêtres ? Votre mère, qui était si chaste, ne donnait à son mari, pour garant de sa vertu, que sa vertu même : ils vivaient heureux l’un et l’autre dans une confiance mutuelle ; et la simplicité de leurs mœurs était pour eux une richesse plus précieuse mille fois que le faux éclat dont vous semblez jouir dans cette maison somptueuse. En perdant votre religion, vous avez perdu votre liberté, votre bonheur, et cette précieuse égalité qui fait l’honneur de votre sexe. Mais ce qu’il y a de pis encore, c’est que vous êtes, non pas la femme, car vous ne pouvez pas l’être, mais l’esclave d’un esclave, qui a été dégradé de l’humanité. Ah, mon frère ! dit-elle, respectez mon époux, respectez la religion que j’ai embrassée : selon cette religion, je n’ai pu vous entendre, ni vous parler sans crime. Quoi, ma sœur ! lui dis-je tout transporté, vous la croyez donc véritable, cette religion ! Ah ! dit-elle, qu’il me serait avantageux qu’elle ne le fût pas ! Je fais pour elle un trop grand sacrifice, pour que je puisse ne la pas croire : et, si mes doutes... A ces mots, elle se tut. Oui, vos doutes, ma sœur, sont bien fondés, quels

  1. A. C. Dans le même lieu et dans le même équipage, accompagnée, etc.