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LETTRES PERSANES.




LETTRE LXXXVI.


RICA A ***.


Il semble ici que les familles se gouvernent toutes seules. Le mari n’a qu’une ombre d’autorité sur sa femme, le père sur ses enfants, le maître sur ses esclaves. La justice se mêle de tous leurs différends ; et sois sûr qu’elle est toujours contre le mari jaloux, le père chagrin, le maître incommode.

J’allai l’autre jour dans le lieu où se rend la justice. Avant d’y arriver, il faut passer sous les armes d’un nombre infini de jeunes marchandes qui vous appellent d’une voix trompeuse. [1] Ce spectacle d’abord est assez riant : mais il devient lugubre lorsqu’on entre dans les

  1. Dufresny, Amusements sérieux et comiques, ch. IV. : « Dans le milieu de Paris s’élève un superbe édifice ouvert à tout le monde, et cependant presque fermé par l’affluence des gens qui s’empressent d’y entrer et d’en sortir.

    « On monte par plusieurs degrés dans une grande salle, où mon Siamois est étonné de voir, dans un même lieu, les hommes amusés d’un côté par des babioles, et de l’autre occupés par des jugements d’où dépendent toutes les destinées.

    « Dans cette boutique on vend un ruban ; dans l’autre boutique on vend une terre par décret ; vous entendez à droite la voix argentine d’une jolie marchande, qui vous invite d’aller à elle ; et à gauche la voix rauque d’un huissier qui fait ses criées ; quel contraste ! »

    On voit qu’au XVIIIe siècle, le Palais présentait le même aspect qu’au XVIIe, quand le jeune Corneille écrivait la comédie de la Galerie du Palais.