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LETTRES PERSANES.


sera encore bien doux d’en être séparée. Ce discours, qui aurait dû le toucher, le fit entrer dans une furieuse colère ; il tira son poignard, et le lui plongea dans le sein. Mes chères compagnes, dit-elle d’une voix mourante, si le ciel a pitié de ma vertu, vous serez vengées. A ces mots, elle quitta cette vie infortunée, pour aller dans le séjour des délices, où les femmes qui ont bien vécu jouissent d’un bonheur qui se renouvelle toujours.

D’abord elle vit une prairie riante, dont la verdure était relevée par les peintures des fleurs les plus vives : un ruisseau, dont les eaux étaient plus pures que le cristal, y faisait un nombre infini de détours. Elle entra ensuite dans des bocages charmants, dont le silence n’était interrompu que par le doux chant des oiseaux. De magnifiques jardins se présentèrent ensuite ; la nature les avait ornés avec sa simplicité, et toute sa magnificence. Elle trouva enfin un palais superbe préparé pour elle, et rempli d’hommes célestes, destinés à ses plaisirs.

Deux d’entre eux se présentèrent aussitôt pour la déshabiller : d’autres la mirent dans le bain, et la parfumèrent des plus délicieuses essences : on lui donna ensuite des habits infiniment plus riches que les siens : après quoi, on la mena dans une grande salle, où elle trouva un feu fait avec des bois odoriférants, et une table couverte des mets les plus exquis. Tout semblait concourir au ravissement de ses sens : elle entendait, d’un côté, une musique d’autant plus divine qu’elle était plus tendre ; de l’autre, elle ne voyait que des danses de ces hommes divins, uniquement occupés à lui plaire. Cependant tant de plaisirs ne devaient servir qu’à la conduire insensiblement à des plaisirs plus grands. On la mena dans sa chambre ; et, après l’avoir encore une fois déshabillée,