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LETTRES PERSANNES.




LETTRE CXLVI [1].


USBEK A RHÉDI.


A VENISE.



Il y a longtemps que l’on a dit que la bonne foi était l’âme d’un grand ministre.

Un particulier peut jouir de l’obscurité où il se trouve ; il ne se décrédite que devant quelques gens, il se tient couvert devant les autres ; mais un ministre qui manque à la probité a autant de témoins, autant de juges, qu’il y a de gens qu’il gouverne.

Oserai-je le dire ? le plus grand mal que fait un ministre sans probité n’est pas de desservir son prince, et de ruiner son peuple ; il y en a un autre, à mon avis, mille fois plus dangereux ; c’est le mauvais exemple qu’il donne.

Tu sais que j’ai longtemps voyagé dans les Indes. [2] J’y ai vu une nation, naturellement généreuse, pervertie en un instant, depuis le dernier des sujets jusqu’aux plus grands, par le mauvais exemple d’un ministre ; j’y ai vu tout un peuple, chez qui la générosité, la probité, la candeur et la bonne foi, ont passé de tout temps pour les qualités naturelles, devenir tout à coup le dernier des

  1. Cette lettre, des plus hardies, est encore une satire du Système de Law.
  2. Les Indes sont ici la France.