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LE TEMPLE DE GNIDE.


Me lance un des serpents dont son front est armé :
Il part, siffle et m’atteint comme un dard enflammé.
Pareil au voyageur que la foudre dévore.
Je demeure immobile et ne sens rien encore,
Et déjà le serpent s’est glissé dans mon cœur :
Mais, dès que son poison, coulant de veine en veine,
De mon sang plus actif eut allumé l’ardeur,
Tous les maux des enfers n’égalaient point ma peine ;
J’allais d’un monstre à l’autre, agité, furieux ;
Cent fois je fis le tour de l’antre épouvantable ;
Et je criais : Thémire ! et ces murs ténébreux
Me répétaient Thémire ! en écho lamentable.
Si Thémire eût paru, ma main, ma propre main,
Pour assouvir ma rage, eût déchiré son sein.

Enfin, je vois le jour, et sa clarté me blesse.
L’antre que j’ai quitté m’inspirait moins d’effroi.
Je m’arrête... je tombe accablé de faiblesse.
Et ce repos lui-même est un tourment pour moi.
Mon œil sec et brûlé me refuse des larmes,
Et, pour me soulager, je n’ai plus de soupirs !
Du sommeil, un moment, je goûte les plaisirs...
O dieux ! il est encore environné d’alarmes !
Mille songes cruels m’obsèdent tour à tour ;
Ils me peignent Thémire ingrate à mon amour.
Je la vois... mais, hélas ! se peut-il que j’achève !
Les soupçons que mon cœur formait pendant le jour
Se sont réalisés dans l’horreur de mon rêve !

Je me lève. Il faut donc, ai-je dit, qu’à mes yeux
Et le jour et la nuit deviennent odieux !
Thémire !... la cruelle ! il faut que je l’oublie !
Thémire, sur mes pas, est comme une furie !
Ah ! qui m’eût dit qu’un jour le plus cher de mes vœux
Serait de l’oublier, et pour toute ma vie ?

Un accès de fureur s’empare encor de moi.
Viens, ami, m’écriai-je ; allons, courons, lui dis-je ;