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LE TEMPLE DE GNIDE.


Elle entra dans le temple. Habitons ces beaux lieux,
Dit-elle, dieu charmant ! soupirons-y nos feux ;
Donne à ce doux climat une gaîté constante :
Vénus seule y préside à des peuples heureux ;
Ajoute à leur bonheur, et règne aussi sur eux.
Pour moi, je sens déjà que mon amour augmente.
Il n’appartient qu’aux dieux, dans leur sphère brillante,
D’aimer avec excès et d’aimer toujours mieux,
Et de voir leur bonheur passer leur espérance,
Plus bornés dans leurs veaux que dans leur jouissance.
Sois ici mes amours ! sous la voûte des cieux
On est trop occupé de la gloire suprême :
Ce n’est que sur la terre et dans ces lieux qu’on aime.
Laissons ces insensés à leurs folâtres jeux ;
Tandis que mes soupirs, ma joie et mes pleurs même,
Sans cesse te peindront mes transports amoureux.

Elle dit ; et Bacchus, enchanté de lui plaire,
La mène, en souriant, au fond du sanctuaire.
Un délire divin pénétra dans nos cœurs :
Nous respirions les jeux, les danses, la folie ;
Et le thyrse à la main, le front couvert de fleurs,
Nous allâmes nous joindre à la bruyante orgie.

Mais nos tourments cruels n’étaient que suspendus :
En sortant de ce temple, à nous-mêmes rendus,
Nous sentions des soupçons la dévorante flamme,
Et la sombre tristesse avait saisi notre âme.
Pour annoncer nos maux, il semblait que l’Amour
Nous eût fait agiter par l’affreuse Euménide ;
Nous regrettions Bacchus et son riant séjour ;
Mais un charme puissant nous entraînait à Gnide.

Je voulais voirThémire, et craignais cet instant :
Je ne retrouvais pas cette ardeur qui nous presse,
Alors que sur le point de revoir sa maîtresse,
Le cœur s’ouvre d’avance au bonheur qu’il attend.