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GRANDEUR ET DÉCADENCE


s’apaisent aisément, parce qu’il a dans ses mains une puissance coercitive[1] qui ramène les deux partis ; mais, dans une république, elles sont plus durables, parce que le mal attaque ordinairement la puissance même qui pourrait le guérir.

À Rome, gouvernée par les lois, le peuple souffrait que le sénat eût la direction des affaires. À Carthage, gouvernée par des abus, le peuple voulait tout faire par lui-même.

Carthage, qui faisait la guerre avec son opulence contre la pauvreté romaine, avait par cela même du désavantage[2] ; l’or et l’argent s’épuisent ; mais la vertu, la constance, la force et la pauvreté ne s’épuisent jamais.

Les Romains étaient ambitieux par orgueil, et les Carthaginois, par avarice ; les uns voulaient commander, les autres voulaient acquérir ; et ces derniers, calculant sans cesse la recette[3] et la dépense, firent toujours la guerre sans l’aimer.

Des batailles perdues, la diminution du peuple, l’affaiblissement du commerce, l’épuisement du trésor public, le soulèvement des nations voisines, pouvaient faire accepter à Carthage les conditions de paix les plus dures. Mais Rome ne se conduisait point par le sentiment des biens et des maux : elle ne se déterminait que par sa gloire, et, comme elle n’imaginait point qu’elle pût être

  1. C'est-à-dire la puissance exécutive.
  2. L'auteur a toujours l'air de supposer que la guerre ne coûte rien ; qu'elle ne demande que du courage et de la patience, et que par conséquent les peuples les plus pauvres et les plus rudes finissent toujours par avoir l’avantage. Cela n'est point vrai des temps modernes ; je doute que cela soit vrai, même de l'antiquité.
  3. A. Et ces derniers, avec un esprit masculin, calculant sans cesse, etc.