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DES ROMAINS, CHAP. IV.

Le gouvernement des Carthaginois était très dur[1] : ils avaient si fort tourmenté les peuples d’Espagne que, lorsque les Romains y arrivèrent, ils furent regardés comme des libérateurs, et, si l’on fait attention aux sommes immenses qu’il leur en coûta pour soutenir une guerre où ils succombèrent, on verra bien que l’injustice est mauvaise ménagère, et qu’elle ne remplit pas même ses vues[2].

La fondation d’Alexandrie avait beaucoup diminué le commerce de Carthage. Dans les premiers temps, la superstition bannissait en quelque façon les étrangers de l’Égypte, et, lorsque les Perses l’eurent conquise, ils n’avaient songé qu’à affaiblir leurs nouveaux sujets. Mais, sous les rois grecs, l’Égypte fit presque tout le commerce du monde, et celui de Carthage commença à déchoir.

Les puissances établies par le commerce peuvent subsister longtemps dans leur médiocrité ; mais leur grandeur est de peu de durée. Elles s’élèvent peu à peu et sans que personne s’en aperçoive ; car elles ne font aucun acte particulier qui fasse du bruit et signale leur puissance. Mais, lorsque la chose est venue au point qu’on ne peut plus s’empêcher de la voir, chacun cherche à priver cette nation d’un avantage qu’elle n’a pris, pour ainsi dire, que par surprise.

La cavalerie carthaginoise valait mieux que la romaine par deux raisons : l’une, que les chevaux numides et espagnols étaient meilleurs que ceux d’Italie, et l’autre, que la cavalerie romaine était mal armée : car ce ne fut

  1. Voyez ce que Polybe dit de leurs exactions, surtout dans le fragment du livre IX, Extrait des vertus et des vices. (M.)
  2. A. On verra bien que l’injustice est une mauvaise ménagère, et ne tient pas même tout ce qu’elle promet.