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DES ROMAINS, CHAP. V.


que de ses plaisirs. Il fut battu, s’enfuit en Asie, plus effrayé que vaincu[1].

Philippe, dans cette guerre, entraîné par les Romains comme par un torrent, les servit de tout son pouvoir et devint l’instrument de leurs victoires. Le plaisir de se venger et de ravager l’Étolie, la promesse qu’on lui diminuerait le tribut, et qu’on lui laisserait quelques villes, des jalousies qu’il eut d’Antiochus[2], enfin, de petits motifs le déterminèrent, et, n’osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu’à l’adoucir[3].

Antiochus jugea si mal des affaires qu’il s’imagina que les Romains le laisseraient tranquille en Asie. Mais ils l’y suivirent. Il fut vaincu encore, et, dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu’un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours[4], de s’ensevelir plutôt sous les débris du trône que d’accepter des propositions qu’un roi ne doit pas entendre ; il avait l’âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l’avaient mis, et il savait bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l’infamie ne le fait jamais[5].

C’est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille ; il y en a bien peu qui sachent faire une guerre, qui soient également capables de se servir de la Fortune et de l’attendre, et qui, avec cette dis-

  1. Florus, liv. II, chap. VIII.
  2. A. Quelque jalousie personnelle d'Antiochus.
  3. C'est l'ordinaire des génies bornés et des esprits timides. (Frédéric II.)
  4. Louis XIV. (M.)
  5. C'est bien pensé pour un grand prince qui en même temps peut s'opposer à ses ennemis ; mais un prince inférieur en force et en puissance doit donner quelque chose au temps et aux conjonctures. (Frédéric II.)