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GRANDEUR ET DÉCADENCE


des personnes, des terres, des villes, des temples et des sépultures même[1].

Ils pouvaient même donner à un traité une interprétation arbitraire : ainsi, lorsqu’ils voulurent abaisser les Rhodiens, ils dirent qu’ils ne leur avaient pas donné autrefois la Lycie comme présent, mais comme amie et alliée.

Lorsqu’un de leurs généraux faisait la paix pour sauver son armée prête à périr, le sénat, qui ne la ratifiait point, profitait de cette paix et continuait la guerre. Ainsi, quand Jugurtha eut enfermé une armée romaine, et qu’il l’eut laissée aller sous la foi d’un traité, on se servit contre lui des troupes mêmes qu’il avait sauvées ; et, lorsque les Numantins eurent réduit vingt mille Romains prêts à mourir de faim à demander la paix, cette paix, qui avait sauvé tant de citoyens, fut rompue à Rome, et l’on éluda la foi publique en envoyant[2] le consul qui l’avait signée[3].

Quelquefois ils traitaient de la paix avec un prince sous des conditions raisonnables, et, lorsqu’il les avait exécutées, ils en ajoutaient de telles, qu’il était forcé de recommencer la guerre. Ainsi, quand ils se furent fait livrer[4] par Jugurtha ses éléphants, ses chevaux, ses tré-

  1. C’était l’effet de la deditio.
  2. C’est-à-dire en livrant aux Numantins.
  3. Ils en agirent de même avec les Samnites, les Lusitaniens et les peuples de Corse. Voyez, sur ces derniers, un fragment du livre Ier de Dion, (M). — Dans A., cette note est remplacée par la suivante : Quand Claudius Glycias eut donné la paix aux peuples de Corse, le sénat ordonna qu’on leur feroit encore la guerre, et fit livrer Glycias aux habitants de l’île, qui ne voulurent pas le recevoir. On sait ce qui arriva aux Fourches Caudines. (M.)
  4. Ils en agirent de même avec Viriate : après lui avoir fait rendre les