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GRANDEUR ET DÉCADENCE DES ROMAINS.


qu’elle ait été, sous le pouvoir des Rois, dans l’aristocratie ou dans l’État populaire, elle n’a jamais cessé de faire des entreprises qui demandaient de la conduite, et y a réussi. Elle ne s’est pas trouvée plus sage que tous les autres États de la terre en un jour, mais continuellement ; elle a soutenu une petite, une médiocre, une grande fortune, avec la même supériorité, et n’a point eu de prospérités dont elle n’ait profité, ni de malheurs dont elle ne se soit servie.

Elle perdit sa liberté parce qu’elle acheva trop tôt son ouvrage[1].

    monarchie, de l’aristocratie et de l’état populaire. Mais la perfection d’un gouvernement ne consiste pas à se rapporter à une des espèces de police qui se trouvent dans les livres des politiques, mais à répondre aux vues que tout législateur doit avoir, qui sont la grandeur d’un peuple ou sa félicité. Le gouvernement de Lacédémone n’était-il pas aussi composé des trois. (M.)

  1. Quel est cet ouvrage ? Je suppose que c'est la conquête du monde.

    On pourrait ajouter aux causes de la ruine de Rome beaucoup d’incidents particuliers. Les rigueurs des créanciers sur leurs débiteurs ont excité de grandes et de fréquentes révoltes. La prodigieuse quantité de gladiateurs et d’esclaves dont Rome et l’Italie étaient surchargées a causé d’effroyables violences, et même des guerres sanglantes. Rome, épuisée par tant de guerres civiles et étrangères, se fit tant de nouveaux citoyens, ou par brigue, ou par raison, qu’à peine pouvait-elle se reconnaître elle-même parmi tant d’étrangers qu’elle avait naturalisés. Le sénat se remplissait de barbares ; le sang romain se mêlait ; l’amour de la patrie, par lequel Rome s’était élevée au-dessus de tous les peuples du monde, n’était pas naturel à ces citoyens venus de dehors ; et les autres se gâtaient par le mélange. Les partialités se multipliaient avec cette prodigieuse multiplicité de citoyens nouveaux ; et les esprits turbulents y trouvaient de nouveaux moyens de brouiller et d’entreprendre. Cependant le nombre des pauvres s’augmentait sans fin par le luxe, par les débauches et par la fainéantise qui s’introduisait. Ceux qui se voyaient ruinés n’avaient de ressource que dans les séditions, et en tout cas se souciaient peu que tout pérît avec eux : les grands ambitieux et les misérables qui n’ont rien à perdre aiment toujours le changement. Ces deux genres de citoyens prévalaient dans Rome ; et l’état mitoyen, qui seul tient tout en balance dans les états populaires, étant le plus faible, il fallait que la république tombât. (Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, troisième partie, ch. VII.)