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DES ROMAINS, CHAP. XII.


Rome ; les deux autres allèrent chercher Brutus et Cassius, et ils les trouvèrent dans ces lieux où l’on combattit trois fois pour l’empire du monde[1].

Brutus et Cassius se tuèrent avec une précipitation qui n’est pas excusable, et l’on ne peut lire cet endroit de leur vie sans avoir pitié de la République, qui fut ainsi abandonnée. Caton s’était donné la mort à la fin de la tragédie ; ceux-ci la commencèrent, en quelque façon, par leur mort.

On peut donner plusieurs causes de cette coutume si générale des Romains de se donner la mort : le progrès de la secte stoïque, qui y encourageait ; l’établissement des triomphes et de l’esclavage, qui firent penser à plusieurs grands hommes qu’il ne fallait pas survivre à une défaite ; l’avantage que les accusés avaient de se donner la mort plutôt que de subir un jugement par lequel leur mémoire devait être flétrie et leurs biens confisqués[2] ; une espèce de point d’honneur, peut-être plus raisonnable que celui qui nous porte aujourd’hui à égorger notre ami pour un geste ou une parole ; enfin, une grande commodité pour l’héroïsme : chacun faisant finir la pièce qu’il jouait dans le monde, à l’endroit où il voulait[3].

On pourrait ajouter une grande facilité dans l’exécution : l’âme, tout occupée de l’action qu’elle va faire, du motif qui la détermine, du péril qu’elle va éviter, ne voit

  1. Dans les plaines de Philippes. On y combattit la première fois, lors de l'invasion de la Grèce par les Perses, et la seconde fois, à Pharsale.
  2. Eorum qui de se statuebant humabantur corpora, manebant testamenta, pretium festinandi. Tacite, Annales, liv. VI, ch. XXIX. (M.)
  3. Si Charles Ier, et Jacques II avoient vécu dans une religion qui leur eût permis de se tuer, ils n'auroient pas eu à soutenir, l'un une telle mort, l'autre une telle vie. (M.) Cette note n'est pas dans A ; elle a disparu dans la seconde édition de 1734.