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GRANDEUR ET DÉCADENCE

On est bien aise de voir l’humiliation de ce Lépidus. C’était le plus méchant citoyen qui fût dans la République ; toujours le premier à commencer les troubles, formant sans cesse des projets funestes, où il était obligé d’associer de plus habiles gens que lui. Un auteur moderne s’est plu à en faire l’éloge[1] et cite Antoine, qui, dans une de ses lettres, lui donne la qualité d’honnête homme. Mais un honnête homme pour Antoine ne devait guère l’être pour les autres.

Je crois qu’Octave est le seul de tous les capitaines romains qui ait gagné l’affection des soldats en leur donnant sans cesse des marques d’une lâcheté naturelle. Dans ces temps-là, les soldats faisaient plus de cas de la libéralité de leur général que de son courage[2]. Peut-être même que ce fut un bonheur pour lui de n’avoir point eu cette valeur qui peut donner l’empire[3], et que cela même l’y porta : on le craignit moins. Il n’est pas impossible que les choses qui le déshonorèrent le plus aient été celles qui le servirent le mieux : s’il avait d’abord montré une grande âme, tout le monde se serait méfié de lui, et, s’il eût eu de la hardiesse, il n’aurait pas donné à Antoine le temps de faire toutes les extravagances qui le perdirent.

Antoine, se préparant contre Octave, jura à ses soldats que, deux mois après sa victoire, il rétablirait la République ; ce qui fait bien voir que les soldats mêmes étaient

  1. L’abbé de Saint-Réal. (M.) L’ouvrage auquel Montesqieu fait allusion a pour titre : Réflexions sur Lépide ; on l’a faussement attribué à l’abbé de Saint-Réal ; il est du marquis de La Bastles. (Aubert.)
  2. A. : que de sa valeur.
  3. A. Peut-être même que ce fut un bonheur pour lui de n’avoir eu aucune des qualités qui pouvoient lui procurer l’empire, etc.