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DES ROMAINS, CHAP. XIII.


corrompre le peuple à prix d’argent, et, quand on était accusé de brigues, on corrompait aussi les juges. Ils firent troubler les élections par toutes sortes de violences, et, quand on était mis en justice, on intimidait encore les juges[1] ; l’autorité même du peuple était anéantie : témoin Gabinius, qui, après avoir rétabli, malgré le peuple, Ptolomée à main armée, vint froidement demander le triomphe[2].

Ces premiers hommes de la République cherchaient à dégoûter le peuple de son pouvoir et à devenir nécessaires en rendant extrêmes les inconvénients du gouvernement républicain. Mais, lorsque Auguste fut une fois le maître, la politique le fit travailler à rétablir l’ordre, pour faire sentir le bonheur du gouvernement d’un seul.

Lorsque Auguste avait les armes à la main, il craignait les révoltes des soldats, et non pas les conjurations des citoyens ; c’est pour cela qu’il ménagea les premiers et fut si cruel aux autres. Lorsqu’il fut en paix, il craignit les conjurations, et, ayant toujours devant les yeux le destin de César, pour éviter son sort, il songea à s’éloigner de sa conduite. Voilà la clef de toute la vie d’Auguste. Il porta dans le Sénat une cuirasse sous sa robe, il refusa le nom de dictateur, et, au lieu que César disait insolemment que la République n’était rien, et que ses paroles étaient des lois, Auguste ne parla que de la dignité du Sénat et de son respect pour la République[3]. Il songea

  1. Cela se voit bien dans les Lettres de Cicéron à Atticus. (M.)
  2. César fit la guerre aux Gaulois, et Crassus aux Parthes, sans qu’il y eût eu aucune délibération du sénat ni aucun décret du peuple. Voyez Dion. (M.)
  3. Saint-Évremond : « La plupart des ambitieux qui s’élevèrent prennent de nouveaux titres pour autoriser un nouveau pouvoir. Mais Auguste voulut cacher une puissance nouvelle sous des noms connus et des dignités