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GRANDEUR ET DÉCADENCE


quelques sénateurs qu’il en voulait : il tenait le glaive suspendu sur le Sénat, qu’il menaçait d’exterminer tout entier.

Cette épouvantable tyrannie des Empereurs venait de l’esprit général des Romains. Comme ils tombèrent tout à coup sous un gouvernement arbitraire, et qu’il n’y eut presque point d’intervalle chez eux entre commander et servir, ils ne furent point préparés à ce passage par des mœurs douces ; l’humeur féroce resta ; les citoyens furent traités comme ils avaient traité eux-mêmes les ennemis vaincus, et furent gouvernés sur le même plan. Sylla entrant dans Rome ne fut pas un autre homme que Sylla entrant dans Athènes : il exerça le même droit des gens. Pour les États qui n’ont été soumis qu’insensiblement[1], lorsque les lois leur manquent, ils sont encore gouvernés par les mœurs.

La vue continuelle des combats des gladiateurs rendait les Romains extrêmement féroces : on remarqua que Claude devint plus porté à répandre le sang à force de voir ces sortes de spectacles. L’exemple de cet empereur, qui était d’un naturel doux, et qui fit tant de cruautés, fait bien voir que l’éducation de son temps était différente de la nôtre.

Les Romains, accoutumés à se jouer de la Nature humaine dans la personne de leurs enfants et de leurs esclaves[2], ne pouvaient guère connaître cette vertu que nous appelons humanité. D’où peut venir cette férocité que nous trouvons dans les habitants de nos colonies, que de

  1. A. Pour nous qui n'avons été soumis qu'insensiblement, lorsque les lois nous manquent, nous sommes gouvernés par les mœurs
  2. Voyez les lois romaines sur la puissance des pères et celle des maîtres. (M.)