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DES ROMAINS, CHAP. XV.


et pleine de bourgeois timides, tremblait devant la première bande de soldats qui pouvait s’en approcher.

La condition des empereurs n’était pas meilleure. Comme ce n’était pas une seule armée qui eût le droit ou la hardiesse d’en élire un, c’était assez que quelqu’un fût élu par une armée pour devenir désagréable aux autres, qui lui nommaient d’abord un compétiteur.

Ainsi, comme la grandeur de la République fut fatale au gouvernement républicain, la grandeur de l’Empire le fut à la vie des Empereurs. S’ils n’avaient eu qu’un pays médiocre à défendre, ils n’auraient eu qu’une principale armée, qui, les ayant une fois élus, aurait respecté l’ouvrage de ses mains.

Les soldats[1] avaient été attachés à la famille de César, qui était garante de tous les avantages que leur aurait procurés la révolution. Le temps vint que les grandes familles de Rome furent toutes exterminées par celle de César, et que celle de César, dans la personne de Néron, périt elle-même. La puissance civile, qu’on avait sans cesse abattue, se trouva hors d’état de contrebalancer la militaire : chaque armée voulut faire un empereur.

Comparons ici les temps. Lorsque Tibère commença à régner, quel parti ne tira-t-il pas du Sénat[2] ? Il apprit que les armées d’Illyrie et de Germanie s’étaient soulevées : il leur accorda quelques demandes, et il soutint que c’était au Sénat à juger des autres[3] ; il leur envoya des députés de ce corps. Ceux qui ont cessé de craindre le pouvoir peuvent encore respecter l’autorité. Quand on eut repré-

  1. Ce paragraphe et les deux suivants ne sont point dans A.
  2. Tacite, Annal., liv. I, ch. VI. (M.)
  3. Cætera senatui servanda. Tacite, Annal., liv. I, ch. XXV. (M.)