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DES ROMAINS, CHAP. XV.


eux, fuir c’était combattre, ils faisaient retirer les peuples à mesure qu’on approchait, et ne laissaient dans les places que les garnisons[1], et, lorsqu’on les avait prises, on était obligé de les détruire. Ils brûlaient avec art tout le pays autour de l’armée ennemie et lui ôtaient jusqu’à l’herbe même. Enfin, ils faisaient à peu près la guerre comme on la fait encore aujourd’hui sur les mêmes frontières.

D’ailleurs, les légions d’Illyrie et de Germanie, qu’on transportait dans cette guerre, n’y étaient pas propres[2] : les soldats, accoutumés à manger beaucoup dans leur pays, y périssaient presque tous[3].

Ainsi, ce qu’aucune nation n’avait pas encore fait, d’éviter le joug des Romains, celle des Parthes le fit, non pas comme invincible, mais comme inaccessible.

Adrien abandonna les conquêtes de Trajan[4] et borna l’Empire à l’Euphrate ; et il est admirable qu’après tant de guerres les Romains n’eussent perdu que ce qu’ils avaient voulu quitter, comme la mer, qui n’est moins étendue que lorsqu’elle se retire d’elle-même.

La conduite d’Adrien causa beaucoup de murmures. On lisait dans les livres sacrés des Romains que, lorsque Tarquin voulut bâtir le Capitole, il trouva que la place la plus convenable était occupée par les statues de beaucoup d’autres divinités. Il s’enquit, par la science qu’il avait dans les augures, si elles voudraient céder leur place à Jupiter. Toutes y consentirent, à la réserve de Mars, de

  1. A : ils transportoient les peuples devant les Romains, et ne laissoient dans les places, etc.
  2. Voyez Hérodien, Vie d’Alexandre Sévère, liv. VI, ch. XIV. (M.)
  3. A. y périssant presque tous.
  4. Voyez Eutrope, liv. VIII. La Dacie ne fut abandonnée que sous Aurélien. (M.)