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DES ROMAINS, CHAP. XVI

Ce qu’on appelait l’empire romain dans ce siècle-là était une espèce de république irrégulière, telle, à peu près, que l’aristocratie d’Alger, où la milice, qui a la puissance souveraine, fait et défait un magistrat qu’on appelle le Dey, et peut-être est-ce une règle assez générale que le gouvernement militaire est, à certains égards, plutôt républicain que monarchique.

Et qu’on ne dise pas que les soldats ne prenaient de part au gouvernement que par leur désobéissance et leurs révoltes. Les harangues que les Empereurs leur faisaient ne furent-elles pas à la fin du genre de celles que les consuls et les tribuns avaient faites autrefois au peuple ? Et, quoique les armées n’eussent pas un lieu pour s’assembler, qu’elles ne se conduisissent point par de certaines formes, qu’elles ne fussent pas ordinairement de sang-froid, délibérant peu et agissant beaucoup, ne disposaient-elles pas en souveraines de la fortune publique ? Et qu’était-ce qu’un empereur, que le ministre d’un gouvernement violent, élu pour l’utilité particulière des soldats ?

Quand l’armée associa à l’empire Philippe[1], qui était préfet du prétoire du troisième Gordien, celui-ci demanda qu’on lui laissât le commandement entier, et il ne put l’obtenir ; il harangua l’armée pour que la puissance fût égale entre eux, et il ne l’obtint pas non plus ; il supplia qu’on lui laissât le titre de César, et on le lui refusa ; il

    années qu’elle contient, il y eut soixante et dix personnes qui eurent, justement ou injustement, le titre de César : Adeo erant in illo principatu, quem tamen omnes mirantur, comitia imperii semper incerta. Ce qui fait bien voir la différence de ce gouvernement à celui de France, où ce royaume n’a eu, en douze cent ans de temps, que soixante-trois rois. (M.)

  1. Voyez Jules Capitolin, in vita Gordiani tertii, c. xxx. (M.)