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DES ROMAINS, CHAP. XVII.

Les Goths, effrayés, se présentèrent sur les bords du Danube et, les mains jointes, demandèrent une retraite. Les flatteurs de Valens saisirent cette occasion et la lui représentèrent comme une conquête heureuse d’un nouveau peuple qui venait défendre l’Empire et l’enrichir[1].

Valens ordonna qu’ils passeraient sans armes ; mais, pour de l’argent, ses officiers leur en laissèrent tant qu’ils voulurent[2]. Il leur fit distribuer des terres ; mais, à la différence des Huns, les Goths n’en cultivaient point[3] ; on les priva même du blé qu’on leur avait promis ; ils mouraient de faim, et ils étaient au milieu d’un pays riche ; ils étaient armés, et on leur faisait des injustices. Ils ravagèrent tout, depuis le Danube jusqu’au Bosphore, exterminèrent Valens et son armée, et ne repassèrent le Danube que pour abandonner l’affreuse solitude qu’ils avaient faite[4].

  1. Amm. Marcellin, liv. XXIX. (M.)
  2. De ceux qui avaient reçu ces ordres, celui-ci conçut un amour infâme ; celui-là fut épris de la beauté d’une femme barbare ; les autres furent corrompus par des présents, des habits de lin, et des couvertures bordées de franges : on n’eut d’autre soin que de remplir sa maison d’esclaves, et ses fermes de bétail. Histoire de Dexipe. (M.)
  3. Voyez l’Histoire gothique de Priscus, où cette différence est bien établie.
    On demandera peut-être comment des nations qui ne cultivaient point les terres pouvaient devenir si puissantes, tandis que celles de l’Amérique sont si petites. C’est que les peuples pasteurs ont une subsistance bien plus assurée que les peuples chasseurs.
    Il paraît, par Ammien Marcellin, que les Huns dans leur première demeure, ne labouraient point les champs ; ils ne vivaient que de leurs troupeaux dans un pays abondant en pâturages, et arrosé par quantité de fleuves, comme font encore aujourd’hui les petits Tartares, qui habitent une partie du même pays. Il y a apparence que ces peuples, depuis leur départ, ayant habité des lieux moins propres à la nourriture des troupeaux, commencèrent à cultiver les terres. (M.)
  4. Voyez Zosime, liv. IV. Voyez aussi Dexipe, dans l’Extrait des ambassades de Constantin Porphyrogénète. (M.)