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DIALOGUE


DE SYLLA ET D’EUCRATE[1].


1745.




Quelques jours après que Sylla se fut démis de la dictature, j’appris que la réputation que j’avais parmi les philosophes lui faisait souhaiter de me voir. Il était à sa maison de Tibur, où il jouissait des premiers moments tranquilles de sa vie. Je ne sentis point devant lui le désordre où nous jette ordinairement la présence des grands hommes. Et, dès que nous fûmes seuls : Sylla, lui dis-je, vous vous êtes donc mis vous-même dans cet état de médiocrité qui afflige presque tous les humains ? Vous avez renoncé à cet empire que votre gloire et vos vertus vous donnaient sur tous les hommes ? La fortune semble être gênée de ne plus vous élever aux honneurs.


Eucrate, me dit-il, si je ne suis plus en spectacle à l’univers, c’est la faute des choses humaines qui ont des bornes, et non pas la mienne. J’ai cru avoir rempli ma destinée, dès que je n’ai plus eu à faire de grandes

  1. Voyez le jugement de Montesquieu sur Sylla, Considérations, chap. XI et XIII.