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ARSACE ET ISMÉNIE.


de la vôtre. Venez prendre un appartement dans mon palais ; celui qui l’habite aime la vertu, et vous n’y serez point étranger.

Le lendemain fut un jour de fête pour tous les Bactriens. La reine sortit de son palais, suivie de toute sa cour. Elle paraissait sur son char, au milieu d’un peuple immense. Un voile qui couvrait son visage laissait voir une taille charmante ; ses traits étaient cachés, et l’amour des peuples semblait les leur montrer.

Elle descendit de son char, et entra dans le temple. Les grands de Bactriane étaient autour d’elle. Elle se prosterna, et adora les dieux dans le silence ; puis elle leva son voile, se recueillit, et dit à haute voix :

Dieux immortels ! la reine de Bactriane vient vous rendre grâces de la victoire que vous lui avez donnée. Mettez le comble à vos faveurs, en ne permettant jamais qu’elle en abuse. Faites qu’elle n’ait ni passions, ni faiblesses, ni caprices ; que ses craintes soient de faire le mal, ses espérances de faire le bien ; et puisqu’elle ne peut être heureuse…, dit-elle d’une voix que les sanglots parurent arrêter, faites du moins que son peuple le soit.

Les prêtres finirent les cérémonies prescrites pour le culte des dieux ; la reine sortit du temple, remonta sur son char, et le peuple la suivit jusqu’au palais.

Quelques moments après, Aspar rentra chez lui ; il cherchait l’étranger, et il le trouva dans une affreuse tristesse. Il s’assit auprès lui, et, ayant fait retirer tout le monde, il lui dit : Je vous conjure de vous ouvrir à moi. Croyez-vous qu’un cœur agité ne trouve point de douceur à confier ses peines ? C’est comme si l’on se reposait dans un lieu plus tranquille. Il faudrait, lui dit l’étranger, vous raconter tous les événements de ma vie. C’est ce que je