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ARSACE ET ISMÉNIE.


poste au dehors avec une troupe de gens d’élite, composée de Margiens et de quelques braves gens qui étaient à moi. Nous battîmes plusieurs de leurs partis. Un corps de cavalerie empêchait qu’on ne leur envoyât des vivres. Ils n’avaient point de machines pour faire le siège de la ville. Notre corps d’armée grossissait tous les jours. Ils se retirèrent et la Margiane fut délivrée.

Dans le bruit et le tumulte de cette cour, je ne goûtais que de fausses joies. Ardasire me manquait partout, et toujours mon cœur se tournait vers elle. J’avais connu mon bonheur, et je l’avais fui ; j’avais quitté des plaisirs réels pour chercher des erreurs.

Ardasire, depuis mon départ, n’avait point eu de sentiment qui n’eût d’abord été combattu par un autre. Elle avait toutes les passions ; elle n’était contente d’aucune. Elle voulait se taire ; elle voulait se plaindre : elle prenait la plume pour m’écrire ; le dépit lui faisait changer de pensée ; elle ne pouvait se résoudre à me marquer de la sensibilité, encore moins de l’indifférence ; mais enfin, la douleur de son âme fixa ses résolutions, et elle m’écrivit cette lettre :

« Si vous aviez gardé dans votre cœur le moindre sentiment de pitié, vous ne m’auriez jamais quittée ; vous auriez répondu à un amour si tendre, et respecté nos malheurs ; vous m’auriez sacrifié des idées vaines ; cruel ! vous croiriez perdre quelque chose en perdant un cœur qui ne brûle que pour vous. Comment pouvez-vous savoir si, ne vous voyant plus, j’aurai le courage de soutenir la vie ? Et si je meurs, barbare ! pouvez-vous douter que ce ne soit par vous ? O dieux ! par vous, Arsace ! Mon amour, si industrieux à s’affliger, ne m’avait jamais fait craindre ce genre de supplice. Je croyais que je n’aurais jamais à