Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/43

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CHANT TROISIÈME.


Il y a à Gnide des jeux sacrés, qui se renouvellent tous les ans : les femmes y viennent, de toutes parts, disputer le prix de la beauté. Là, les bergères sont confondues avec les filles des rois ; car la beauté seule y porte les marques de l’empire. Vénus y préside elle-même. Elle décide sans balancer ; elle sait bien quelle est la mortelle heureuse qu’elle a le plus favorisée.

Hélène remporta ce prix plusieurs fois ; elle triompha lorsque Thésée l’eut ravie ; elle triompha lorsqu’elle eut été enlevée par le fils de Priam ; elle triompha enfin, lorsque les dieux l’eurent rendue à Ménélas, après dix ans d’espérance : ainsi ce prince, au jugement de Vénus même, se vit aussi heureux époux, que Thésée et Paris avoient été heureux amants[1].

Il vint trente filles de Corinthe, dont les cheveux tomboient à grosses boucles sur les épaules. Il en vint dix de Salamine, qui n’avoient encore vu que treize fois le cours du soleil. Il en vint quinze de l’île de Lesbos ; et elles se disoient l’une à l’autre : Je me sens tout émue ; il n’y a rien de si charmant que vous : si Vénus vous voit des mêmes yeux que moi, elle vous couronnera au milieu de toutes les beautés de l’univers.

  1. Colardeau traduit ironiquement :


    L’époux, en retrouvant cette épouse abusée,
    Se crut non moins heureux que Paris et Thésée.