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ARSACE ET ISMÉNIE.


armes. Jusqu’ici vous n’êtes point coupables ; dès ce moment vous le seriez. »

Aspar expliqua ensuite comment il avait confié la jeune Isménie à deux vieux eunuques ; comment on l’avait transportée en Médie sous un nom supposé ; comment il l’avait mariée à un grand seigneur du pays ; comment il l’avait fait suivre dans tous les lieux où la fortune l’avait conduite ; comment la maladie de la reine l’avait déterminé à la faire enlever pour être gardée en secret dans le sérail ; comment, après la mort de la reine, il l’avait placée sur le trône.

Comme les flots de la mer agitée s’apaisent par les zéphyrs, le peuple se calma par les paroles d’Aspar. On n’entendit plus que des acclamations de joie ; tous les temples retentirent du nom de la jeune Isménie.

Aspar inspira à Isménie de voir l’étranger qui avait rendu un si grand service à la Bactriane ; il lui inspira de lui donner une audience éclatante. Il fut résolu que les grands et les peuples seraient assemblés ; que là il serait déclaré général des armées de l’État, et que la reine lui ceindrait l’épée. Les principaux de la nation étaient rangés autour d’une grande salle, et une foule de peuple en occupait le milieu et l’entrée. La reine était sur son trône, vêtue d’un habit superbe. Elle avait la tête couverte de pierreries ; elle avait, selon l’usage de ces solennités, levé son voile, et l’on voyait le visage de la beauté même. Arsace parut, et le peuple commença ses acclamations. Arsace, les yeux baissés par respect, resta un moment dans le silence, et adressant la parole à la reine :

Madame, lui dit-il d’une voix basse et entrecoupée, si quelque chose pouvait rendre à mon âme quelque tranquillité, et me consoler de mes malheurs…