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ARSACE ET ISMÉNIE.

Arsace savait donner, parce qu’il savait refuser.

Souvent, disait-il, quatre villages ne suffisent pas pour faire un don à un grand seigneur prêt à devenir misérable, ou à un misérable prêt à devenir grand seigneur. Je puis bien enrichir la pauvreté d’état ; mais il m’est impossible d’enrichir la pauvreté de luxe.

Arsace était plus curieux d’entrer dans les chaumières que dans les palais de ses grands.

C’est là que je trouve mes vrais conseillers. Là, je me ressouviens de ce que mon palais me fait oublier. Ils me disent leurs besoins. Ce sont les petits malheurs de chacun qui composent le malheur général. Je m’instruis de tous ces malheurs, qui, tous ensemble, pourraient former le mien.

C’est dans ces chaumières que je vois ces objets tristes, qui font toujours les délices de ceux qui peuvent les faire changer, et qui me font connaître que je puis devenir un plus grand prince que je ne le suis. J’y vois la joie succéder aux larmes ; au lieu que dans mon palais je ne puis guère voir que les larmes succéder à la joie.

On lui dit un jour que, dans quelques réjouissances publiques, des farceurs avaient chanté ses louanges.

Savez-vous bien, dit-il, pourquoi je permets à ces gens-là de me louer ? C’est afin de me faire mépriser la flatterie, et de la rendre vile à tous les gens de bien. J’ai un si grand pouvoir qu’il sera toujours naturel de chercher à me plaire. J’espère bien que les dieux ne permettront point que la flatterie me plaise jamais. Pour vous, mes amis, dites-moi la vérité ; c’est la seule chose du monde que je désire, parce que c’est la seule chose du monde qui puisse me manquer.

Ce qui avait troublé la fin du règne d’Artamène, c’est