Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/61

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CHANT SIXIÈME.


Pendant que nous parlions de nos amours, nous nous égarâmes ; et, après avoir erré longtemps, nous entrâmes dans une grande prairie : nous fûmes conduits, par un chemin de fleurs, au pied d’un rocher affreux. Nous vîmes un antre obscur ; nous y entrâmes, croyant que c’étoit la demeure de quelque mortel. O dieux ! qui auroit pensé que ce lieu eût été si funeste ? A peine y eus-je mis le pied, que tout mon corps frémit, mes cheveux se dressèrent sur la tète. Une main invisible m’entrainoit dans ce fatal séjour : à mesure que mon cœur s’agitoit, il cherchoit à s’agiter encore. Ami, m’écriai-je, entrons plus avant, dussions-nous voir augmenter nos peines ! J’avance dans ce lieu, où jamais le soleil n’entra, et que les vents n’agitèrent jamais. J’y vis la Jalousie ; son aspect étoit plus sombre que terrible : la Pâleur, la Tristesse, le Silence l’entouroient, et les Ennuis voloient autour d’elle. Elle souffla sur nous, elle nous mit la main sur le cœur, elle nous frappa sur la tête ; et nous ne vîmes, nous n’imaginâmes plus que des monstres. Entrez plus avant, nous dit-elle, malheureux mortels ; allez trouver une déesse plus puissante que moi. Nous vîmes une affreuse divinité, à la lueur des langues enflammées des serpents qui siffloient sur sa tête ; c’étoit la Fureur. Elle détacha un de ses serpens, et le jeta sur moi : je voulus le prendre ;