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LE TEMPLE DE GNIDE.

Je vis Bacchus descendre de son char ; je vis descendre Ariane ; elle entra dans le temple. Aimable Dieu, s’écria-t-elle, restons dans ces lieux, et soupirons-y nos amours. Faisons jouir ce doux climat d’une joie éternelle. C’est auprès de ces lieux que la reine des cœurs a posé son empire ; que le dieu de la joie règne auprès d’elle, et augmente le bonheur de ces peuples déjà si fortunés[1].

Pour moi, grand Dieu, je sens déjà que je t’aime davantage. Quoi ! tu pourrois quelque jour me paroître encore plus aimable[2] ! Il n’y a que les immortels qui puissent aimer à l’excès, et aimer toujours davantage ; il n’y a qu’eux qui obtiennent plus qu’ils n’espèrent, et qui sont plus bornés quand ils désirent que quand ils jouissent.

Tu seras ici mes éternelles amours. Dans le ciel, on n’est occupé que de sa gloire[3] ; ce n’est que sur la terre et dans les lieux champêtres, que l’on sait aimer. Et, pendant que cette troupe se livrera à une joie insensée, ma joie, mes soupirs et mes larmes même, te rediront sans cesse mes amours.

Le dieu sourit à Ariane ; il la mena dans le sanctuaire. La joie s’empara de nos cœurs : nous sentîmes une émotion divine. Saisis des égarements de Silène, et des transports des bacchantes, nous primes un thyrse[4], et nous nous mêlâmes dans les danses et dans les concerts.

  1. Colardeau :


    Répands sur ces climats une joie éternelle.
    Vénus règne ici près, tu dois régner près d’elle.
    Ariane et Bacchus, et Vénus et l’Amour
    N’auront plus qu’un empire et qu’une même cour.

  2. A. Qui l’eût dit que tu pourrais quelque jour me paroître encore plus aimable ?
  3. Colardeau :
    La gloire dans l’Olympe occupe trop les dieux.
  4. A. Une thyrse.