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LE TEMPLE DE GNIDE.


malheureux pendant que je la poursuis, plus malheureux encore quand je l’ai atteinte[1].

Une jeune nymphe, seule dans ce bois[2], nous aperçut et soupira. Non, dit-elle, ce n’est que pour augmenter mes tourments, que le cruel Amour me fait voir un amant si tendre.

Nous trouvâmes Apollon assis auprès d’une fontaine. Il avoit suivi Diane, qu’un daim timide avoit menée dans ces bois. Je le reconnus à ses blonds cheveux, et à la troupe immortelle qui étoit autour de lui. Il accordoit sa lyre ; elle attire les rochers ; les arbres la suivent, les lions restent immobiles. Mais nous entrâmes plus avant dans les forêts, appelés en vain par cette divine harmonie.

Où croyez-vous que je trouvai l’Amour ? Je le trouvai sur les lèvres de Thémire ; je le trouvai ensuite sur son sein : il s’étoit sauvé à ses pieds : je l’y trouvai encore : il se cacha sous ses genoux ; je le suivis ; et je l’aurois toujours suivi, si Thémire tout en pleurs, Thémire irritée ne m’eût arrêté. Il étoit à sa dernière retraite : elle est si charmante, qu’il ne sauroit la quitter. C’est ainsi qu’une tendre fauvette, que la crainte et l’amour retiennent sur ses petits, reste immobile sous la main avide qui s’approche, et ne peut consentir à les abandonner.

Malheureux que je suis ! Thémire écouta mes plaintes, et elle n’en fut point attendrie : elle entendit mes prières, et elle devint plus sévère. Enfin je fus téméraire ; elle s’indigna : je tremblai ; elle me parut fâchée : je pleurai ; elle me rebuta : je tombai ; et je sentis que mes soupirs

  1. A. Lorsque je l’ai atteinte.
  2. A. Dans ces bois.