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LE TEMPLE DE GNIDE.


Le sanctuaire à leurs vœux est fermé.
Ces malheureux conjurent l’immortelle
De leur ouvrir la source des plaisirs,
De les sauver de cette paix cruelle
Que laisse en eux l’absence des désirs.

Vénus inspire aux bergères de Gnide
La modestie et sa grâce timide,
Qui, sous le voile, ajoute à la beauté ;
Mais leur front pur, où la candeur réside,
Ne rougit point d’un aveu mérité.

Dans ces beaux lieux, le cœur fixe lui-même
L’instant charmant de se rendre à ses feux :
Il est si doux de céder quand on aime !
Mais, sans aimer... est-ce faire un heureux ?
L’Amour choisit les traits dont il nous blesse.
Les uns, trempés dans les eaux du Léthé,
Sont pour l’amant que fuit une maîtresse :
Armés de feux, d’autres volent sans cesse
Sur deux cœurs neufs et pleins de volupté ;
Il a laissé ces traits faits pour la guerre,
Qui déchiraient Ariane et sa sœur,
Et dont ses bras s’armaient dans sa fureur.
Comme le ciel s’arme de son tonnerre.
Quand l’art d’aimer est donné par l’Amour,
Vénus y joint l’art séduisant de plaire.
A son autel les filles, chaque jour,
Vont adresser leur naïve prière.
L’une disait, avec un doux souris :
Reine des cœurs ! renferme dans mon âme.
Pour quelque temps, le secret de ma flamme,
Et mes aveux en auront plus de prix.
L’autre disait : Divinité suprême !
Tu sais qu’Hylas ne m’intéresse plus :
Ne me rends point les feux que j’ai perdus ;
Fuis seulement, fais que Myrtile m’aime.
Aucun plaisir ne saurait me charmer,