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LE TEMPLE DE GNIDE.


Car Vénus, à l’aspect d’un habitant de Gnide,
Fait goûter en secret les doux ravissements
De deux amis rendus à leurs embrassements.

Je sentis que mon cœur se donnait à sa vue ;
Vers les mêmes liens nous étions emportés :
Il semblait que du ciel l’Amitié descendue
Venait dans ce bosquet s’asseoir à nos côtés.

Je lui fis de ma vie une histoire fidèle.
Mon père, qui servait notre auguste immortelle,
M’a fait naître, lui dis-je, au sein de Sybaris.
Quelle cité ! Ses goûts sont des besoins pour elle :
A qui peut en trouver d’une espèce nouvelle,
Des trésors de l’État on y donne des prix.

Ces lâches habitants ont banni de leur ville
Tous les arts dont le bruit trouble un sommeil tranquille.
Ils pleurent des bouffons quand ils les ont perdus,
Et laissent dans l’oubli le héros qui n’est plus.
Ils prodiguent sans fruit l’éternelle richesse
Qu’entretient dans leurs murs un terroir opulent ;
Et les faveurs des dieux sur ce peuple indolent,
Ne servent qu’à nourrir le luxe et la mollesse.

Les hommes sont si doux, parés avec tant d’art,
Occupés si longtemps à consulter leurs glaces,
A corriger un geste, un sourire, un regard,
A moduler leur voix, à composer leurs grâces,
Qu’ils ne paraissent point former un sexe à part.

Une femme se livre avant même qu’elle aime :
Que dis-je ? connaît-elle un mutuel amour ?
Sa gloire est d’enchaîner ; jouir est son système ;
Chaque jour voit finir les vœux de chaque jour :
Mais ces riens, où le cœur trouve tant d’importance,
Mais ces soins attentifs, mais ces regards chéris,
Tous ces petits objets qui sont d’un si grand prix,