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LIVRE VI, CHAP. I.

Les peuples des États despotiques sont dans un cas bien différent. Je ne sais sur quoi, dans ces pays, le législateur pourroit statuer, ou le magistrat juger. Il suit de ce que les terres appartiennent au prince, qu'il n'y a presque point de lois civiles sur la propriété des terres. Il suit du droit que le souverain a de succéder, qu'il n'y en a pas non plus sur les successions. Le négoce exclusif qu'il fait dans quelques pays, rend inutiles toutes sortes de lois sur le commerce. Les mariages que l'on y contracte avec des filles esclaves, font qu'il n'y a guère de lois civiles sur les dots et sur les avantages des femmes. Il résulte encore de cette prodigieuse multitude d'esclaves, qu'il n'y a presque point de gens qui aient une volonté propre, et qui par conséquent doivent répondre de leur conduite devant un juge. La plupart des actions morales, qui ne sont que les volontés du père, du mari, du maître, se règlent par eux, et non par les magistrats.

J'oubliois de dire que ce que nous appelons l'honneur, étant à peine connu dans ces États, toutes les affaires qui regardent cet honneur, qui est un si grand chapitre parmi nous, n'y ont point de lieu. Le despotisme se suffit à lui-même; tout est vide autour de lui. Aussi, lorsque les voyageurs nous décrivent les pays où il règne, rarement nous parlent-ils de lois civiles [1].

  1. Au Mazulipatan, on n'a pu découvrir qu'il y eût de loi écrite. Voyez « Recueil des voyages qui ont servi à établissement de la compagnie des Indes, t. IV, part, I, p. 391. Les Indiens ne se règlent, dans les jugements, que sur de certaines coutumes. Le Vedam [lisez les Védas] et autres livres pareils ne contiennent point de lois civiles, mais des préceptes religieux. Voyez Lettres édifiantes, quatorzième recueil. (M.) — Montesquieu se trompe. Chez les Indiens, il y a une jurisprudence beaucoup plus développée qu'il ne l'imagine. Il en est de même chez les Turcs et les Arabes. Le Coran est sans doute la loi principale, la source du droit ; mais il y a des jurisconsultes sans nombre, et une jurisprudence tout aussi subtile et tout aussi ingénieuse que celle des Romains.