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DISCOURS

Il joignoit à un beau génie une âme plus belle encore : les qualités de l’esprit n’étoient chez lui que clans le second ordre ; elles ornoient le mérite, mais ne le faisoient pas.

Il écrivoit pour instruire ; et, en instruisant, il se faisoit toujours aimer. Tout respire dans ses ouvrages la candeur et la probité ; le bon naturel s’y fait sentir : le grand homme ne s’y montre jamais qu’avec l’honnête homme.

Il suivoit la vertu par un penchant naturel, et il s’y attachoit encore par ses réflexions. Il jugeoit qu’ayant écrit sur la morale, il devoit être plus difficile qu’un autre sur ses devoirs ; qu’il n’y avoit point pour lui de dispenses, puisqu’il avoit donné les règles ; qu’il seroit ridicule qu’il n’eût pas la force de faire des choses dont il avoit cru tous les hommes capables ; qu’il abandonnât ses propres maximes, et que dans chaque action il eût en même temps à rougir de ce qu’il auroit fait et de ce qu’il auroit dit.

Avec quelle noblesse n’exerçoit-il pas sa profession[1] ? Tous ceux qui avoient besoin de lui devenoient ses amis. Il ne trouvoit presque pour récompense, à la fin de chaque jour, que quelques bonnes actions de plus. Toujours moins riche, et toujours plus désintéressé, il n’a presque laissé à ses enfants que l’honneur d’avoir eu un si illustre père.

Vous aimez, messieurs, les hommes vertueux ; vous ne faites grâce au plus beau génie d’aucune qualité du cœur ; et vous regardez les talents sans la vertu comme des présents funestes, niquement propres à donner de la force, ou un plus grand jour, à nos vices.

Et par là vous êtes bien dignes de ces grands protecteurs[2] qui vous ont confié leur gloire, qui ont voulu

  1. M. de Sacy était avocat au Parlement.
  2. Le cardinal de Richelieu et le chancelier Séguier.