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SUR LE GOUT

car nous ne savons d’abord où nous prendre pour juger de sa grandeur. Si elle était moins large, nous serions frappés de sa longueur ; si elle était moins longue, nous le serions de sa largeur. Mais à mesure que l’on examine, l’œil la voit s’agrandir, l’étonnement augmente. On peut la comparer aux Pyrénées, où l’œil, qui croyait d’abord les mesurer, découvre des montagnes derrière les montagnes, et se perd toujours davantage.

Il arrive souvent que notre âme sent du plaisir lorsqu’elle a un sentiment qu’elle ne peut pas démêler elle-même, et qu’elle voit une chose absolument différente de ce qu’elle sait être : ce qui lui donne un sentiment de surprise dont elle ne peut pas sortir. En voici un exemple. Le dôme de Saint-Pierre est immense. On sait que Michel-Ange voyant le Panthéon, qui était le plus grand temple de Rome, dit qu’il en voulait faire un pareil, mais qu’il voulait le mettre en l’air. Il fit donc sur ce modèle le dôme de Saint-Pierre ; mais il fit les piliers si massifs, que ce dôme, qui est comme une montagne que l’on a sur la tête, parait léger à l’œil qui le considère. L’âme reste donc incertaine entre ce qu’elle voit et ce qu’elle sait, et elle reste surprise de voir une masse en même temps si énorme et si légère.