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SUR LE GOUT

de ses commencements ; et l’étonnement porte sur ces deux choses.

On peut remarquer ici combien est grande la différence des antithèses d’idées d’avec les antithèses d’expression. L’antithèse d’expression n’est pas cachée ; celle d’idées l’est ; l’une a toujours le même habit, l’autre en change comme on veut ; l’une est variée, l’autre non.

Le même Florus, en parlant des Samnites, dit que leurs villes furent tellement détruites, qu’il est difficile de trouver à présent le sujet de vingt-quatre triomphes : ut non facile appareat materia quatuor et viginti triumphorum[1]. Et par les mêmes paroles, qui marquent la destruction de ce peuple, il fait voir la grandeur de son courage et de son opiniâtreté.

Lorsque nous voulons nous empêcher de rire, notre rire redouble à cause du contraste qui est entre la situation où nous sommes et celle où nous devrions être. De même, lorsque nous voyons dans un visage un grand défaut, comme, par exemple, un très-grand nez, nous rions à cause que nous voyons que ce contraste avec les autres traits du visage ne doit pas être. Ainsi les contrastes sont cause des défauts aussi bien que des beautés. Lorsque nous voyons qu’ils sont sans raison, qu’ils relèvent ou éclairent un autre défaut, ils sont les grands instruments de la laideur, laquelle, lorsqu’elle nous frappe subitement, peut exciter une certaine joie dans notre âme, et nous faire rire. Si notre âme la regarde comme un malheur dans la personne qui la possède, elle peut exciter la pitié ; si elle la regarde avec l’idée de ce qui peut nous nuire, et avec une idée de comparaison avec ce qui a coutume de nous

  1. Florus, lib. I, c. xvi.