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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE CX.


A L’ABBÉ COMTE DE GUASCO.


J’ai reçu, Monsieur le Comte, à la Brècle, où je suis et où je voudrois bien que vous fassiez, votre lettre datée de Turin. M. le marquis de Saint-Germain [1] qui s’intéresse vivement à ce qui vous regarde, m’avoit déjà appris la manière distinguée dont vous avez été reçu à votre Cour, et la justice qu’on vous y a rendue. Il est consolant de voir un roi réparer les torts que son ministre a fait essuyer, et je vois avec joie qu’avec le temps le mérite est toujours reconnu par les princes éclairés, qui se donnent la peine de voir les choses par eux-mêmes. Les bons offices que M. le marquis de Saint-Germain vous a rendus par ses lettres augmentent la bonne opinion que j’avois de lui. Je vous fais bien mes compliments sur l’investiture de votre comté [2] ; et si j’avois appris que vous aviez été investi d’une abbaye, ma satisfaction seroit aussi complète qu’eut été la réparation. Au reste, mon cher ami, je ne voudrois point qu’il vous vint la tentation de nous quitter : vous savez que nous vous

  1. Ambassadeur de Sardaigne à Paris, qui y fut fort estimé. (GUASCO.)
  2. En Piémont, par les constitutions du pays, les ecclésiastiques ne peuvent point posséder des fiefs, ni en prendre le titre. Les deux frères étant exposés aux périls de la guerre, il pouvoit arriver que, venant à manquer, le fief qui donne le titre à leur maison retombât à la couronne, ou dans une maison étrangère. D’ailleurs, comme il étoit établi en Allemagne, où les ecclésiastiques ne sont pas sujets à la même loi, il demanda au roi de l’investir aussi lui-même de ce fief ; grâce que le roi lui accorda par une patente particulière, avec le titre, juridiction et prérogatives de la comté de sa famille, dérogeant à cet effet à l’article des constitutions sur ce sujet. (GUASCO.)