Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la divinité[1] a ses loix, le monde matériel a ses loix ; les intelligences supérieures à l’homme ont leurs loix, les bêtes ont leurs loix, l’homme a ses loix.

Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité ; car quelle plus grande absurdité qu’une fatalité aveugle qui auroit produit des êtres intelligens ?

Il y a donc une raison primitive ; & les loix sont les rapports qui se trouvent entre elle & les différens êtres, & les rapports de ces divers êtres entre eux.

Dieu a du rapport avec l’univers, comme créateur & comme conservateur ; les loix selon lesquelles il a créé, sont celles selon lesquelles il conserve : il agit selon ces regles, parce qu’il les connoît ; il les connoît, parce qu’il les a faites ; il les a faites, parce qu’elles ont du rapport avec sa sagesse & sa puissance.

Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matiere, & privé d’intelligence, subsiste toujours, il faut que ses mouvements aient des loix invariables ; &, si l’on pouvoit imaginer un autre monde que celui-ci, il auroit des regles constantes, ou il seroit détruit.

Ainsi la création, qui paroît être un acte arbitraire, suppose des regles aussi invariables que la fatalité des athées. Il seroit absurde de dire que le créateur, sans ces regles, pourrait gouverner le monde, puisque le monde ne subsisteroit pas sans elles.

Ces regles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mu & un autre corps mu, c’est suivant les rapports de la masse & de la vîtesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance.

Les êtres particuliers intelligens peuvent avoir des loix qu’ils ont faites ; mais ils en ont aussi qu’ils n’ont pas


  1. La loi, dit Plutarque, est la reine de tous mortels & immortels. Au traité, Qu’il est requis qu’un prince soit sçavant.