Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/163

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pour vivre ensemble, sont nés aussi pour se plaire ; & celui qui n’observeroit pas les bienséances, choquant tous ceux avec qui il vivroit, le décréditeroit au point qu’il deviendroit incapable de faire aucun bien.

Mais ce n’est pas d’une source si pure que la politesse a coutume de tirer son origine. Elle nait de l’envie de se distinguer. C’est par orgueil que nous sommes polis : nous nous sentons flattés d’avoir des manieres qui prouvent que nous ne sommes pas dans la bassesse, & que nous n’avons pas vêcu avec cette sorte de gens que l’on a abandonnés dans tous les âges.

Dans les monarchies, la politesse est naturalisée à la cour. Un homme excessivement grand, rend tous les autres petits. De-là, les égards que l’on doit à tout le monde : de-là naît la politesse, qui flatte autant ceux qui sont polis, que ceux à l’égard de qui ils le sont ; parce qu’elle fait comprendre qu’on est de la cour, ou qu’on est digne d’en être.

L’air de la cour consiste à quitter sa grandeur propre pour une grandeur empruntée. Celle-ci flatte plus un courtisan que la sienne même. Elle donne une certaine nodestie superbe qui se répand au loin ; mais dont l’orgueil diminue insensiblement, à proportion de la distance où l’on est de la source de cette grandeur.

On trouve, à la cour, une délicatesse de goût en toutes choses, qui vient d’un usage continuel des superfluités d’une grande fortune ; de la variété, & surtout de la lassitude des plaisirs ; de la multiplicité, de la confusion même des fantaisies, qui, lorsqu’elles sont agréables, y sont toujours reçues.

C’est sur toutes ces choses que l’éducation se porte, pour faire ce qu’on appelle l’honnête homme, qui a toutes les qualités & toutes les vertus que l’on demande dans ce gouvernement.

Là l’honneur, se mêlant par-tout, entre dans toutes les façons de penser & toutes les manieres de sentir, & dirige même les principes.

Cet honneur bizarre fait que les vertus ne sont que ce qu’il veut, & comme il les veut : il met, de son