Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

& la Crete[1] fut la derniere proie des Romains. Les Samnites eurent ces mêmes institutions, & elles furent pour ces Romains le sujet de vingt-quatre triomphes[2].

Cet extraordinaire que l’on voyoit dans les institutions de la Grece, nous l’avons vu dans la lie & la corruption de nos temps modernes[3]. Un législateur honnête-homme a formé un peuple, où la probité paroît aussi naturelle que la bravoure chez les Spartiates. M. Pen est un véritable Lycurgue : &, quoique le premier ait eu la paix pour objet, comme l’autre a eu la guerre, ils se ressemblent dans la voie singuliere, où ils ont mis leur peuple, dans l’ascendant qu’ils ont eu sur des hommes libres, dans les préjugés qu’ils ont vaincus, dans les passions qu’ils ont soumises.

Le Paraguay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu en faire un crime à la société, qui regarde le plaisir de commander comme le seul bien de la vie : mais il sera toujours beau de gouverner les hommes, en les rendant plus heureux[4].

Il est heureux pour elle d’avoir été la premiere qui ait montré, dans ces contrées, l’idée de la religion jointe à celle de l’humanité. En réparant les dévastations des Espagnols, elle a commencé à guérir une des grandes plaies qu’ait encore reçues le genre humain.

Un sentiment exquis qu’a cette société pour tout ce qu’elle appelle honneur, son zele pour une religion qui humilie bien plus ceux qui l’écoutent que ceux qui la prêchent, lui ont fait entreprendre de grandes choses ; & elle y a réussi. Elle a retiré des bois des peuples dispersés ; elle leur a donné une subsistance assurée ; elle les a vêtus : &, quand elle n’auroit fait par-là

  1. Elle défendit pendant trois ans ses loix & sa liberté. Voyez les liv. XCVIII, XCIX & C. de Tite Live, dans l’épitome de Florus. Elle fit plus de résistance que les plus grands rois.
  2. Florus, liv. I.
  3. In fece Romuli. Cicéron.
  4. Les Indiens du Paraguay ne dépendent point d’un seigneur particulier, ne paient qu’un cinquieme des tributs, & ont des armes à feu pour se défendre.