Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/177

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Ainsi les distinctions y naissent du principe de l’égalité, lors même qu’elle paroît ôtée par des services heureux, ou par des talens supérieurs.

L’amour de la frugalité borne le desir d’avoir à l’attention que demande le nécessaire pour sa famille, & même le superflu pour sa patrie. Les richesses donnent une puissance dont un citoyen ne peut pas user pour lui ; car il ne seroit pas égal. Elles procurent des délices dont il ne doit pas jouir non plus, parce qu’elles choqueroient l’égalité tout de même.

Aussi les bonnes démocraties, en établissant la frugalité domestique, ont-elles ouvert la porte aux dépenses publiques, comme on fit à Athenes & à Rome. Pour lors, la magnificence & la profusion naissoient du fond de la frugalité même : &, comme la religion demande qu’on ait les mains pures pour faire des offrandes aux dieux, les loix vouloient des mœurs frugales, pour que l’on pût donner à sa patrie.

Le bon sens & le bonheur des particuliers consistent beaucoup dans la médiocrité de leurs talens & de leurs fortunes. Une république où les loix auront formé beaucoup de gens médiocres, composée de gens sages, se gouvernera sagement ; composée de gens heureux, elle sera très-heureuse.


CHAPITRE IV.

Comment on inspire l’amour de l’égalité & de la frugalité.


L’AMOUR de l'égalité, & celui de la frugalité, sont extrêmement excités par l’égalité & la frugalité mêmes, quand on vit dans une société où les loix ont établi l’une & l’autre.

Dans les monarchies & les états despotiques, personne n’aspire à l’égalité ; cela ne vient pas même dans l’idée : chacun y tend à la supériorité. Les gens des con-