Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/201

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Par les constitutions de Moscovie[1], le czar peut choisir qui il veut pour son successeur, soit dans sa famille, soit hors de sa famille. Un tel établissement de succession cause mille révolutions, & rend le trône aussi chancelant que la succession est arbitraire. L’ordre de succession étant une des choses qu’il importe le plus au peuple de sçavoir, le meilleur est celui qui frappe le plus les yeux, comme la naissance & un certain ordre de naissance. Une telle disposition arrête les brigues, étouffe l’ambition ; on ne captive plus l’esprit d’un prince foible, & l’on ne fait point parler les mourans.

Lorsque la succession est établie par une loi fondamentale, un seul prince est le successeur, & les freres n’ont aucun droit réel ou apparent de lui disputer la couronne. On ne peut présumer ni faire valoir une volonté particuliere du pere. Il n’est donc pas plus question d’arrêter ou de faire mourir le frere du roi, que quelque autre sujet que ce soit.

Mais, dans les états despotiques, où les freres du prince sont également les esclaves & les rivaux, la prudence veut que l’on s’assure de leurs personnes ; surtout dans les pays Mahométans, où la religion regarde la victoire ou le succês comme un jugement de dieu ; de sorte que personne n’y est souverain de droit, mais seulement de fait.

L’ambition est bien plus irritée dans des états où des princes du sang voient que, s’ils ne montent pas sur le trône, ils seront enfermés ou mis à mort, que parmi nous où les princes du sang jouissent d’une condition qui, si elle n’est pas si satisfaisante pour l’ambition, l’est peut-être plus pour les desirs modérés.

Les princes des états despotiques ont toujours abusé du mariage. Ils prennent ordinairement plusieurs femmes, sur-tout dans la partie du monde où le despotisme est, pour ainsi dire, naturalisé, qui est l’Asie. Ils en ont tant d’enfans, qu’ils ne peuvent gueres avoir d’affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs freres.

  1. Voyez les différentes constitutions, sur-tout celle de 1722.