Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/291

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ment parce que la punition est proche ne le sont plus dès qu’elle est éloignée ; ils travaillent à leurs intérêts particuliers. L’empire se dissout, la capitale est prise, & le conquérant dispute les provinces avec les gouverneurs.

La vraie puissance d’un prince ne consiste pas tant dans la facilité qu’il y a à conquerir, que dans la difficulté qu’il y a à l’attaquer ; &, si j’ose parler ainsi, dans l’immutabilité de sa condition. Mais l’aggrandissement des états leur fait montrer de nouveaux côtés par où on peut les prendre.

Ainsi, comme les monarques doivent avoir de la sagesse pour augmenter leur puissance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence afin de la borner. En faisant cesser les inconvéniens cle la petitesse, il faut qu’ils aient toujours l’œil sur les inconvéniens de la grandeur.


CHAPITRE VII.

Réflexions.


LES ennemis d’un grand prince qui a si long-temps regné l’ont mille fois accusé, plutôt, je crois, sur leurs craintes que sur leurs raisons, d’avoir formé & conduit le projet de la monarchie universelle. S’il y avoit réussi, rien n’auroit été plus fatal à l’Europe, à ses anciens sujets, à lui, à sa famille. Le ciel, qui connoît les vrais avantages, l’a mieux servi par des défaites, qu’il n’auroit fait par des victoires. Au lieu de le rendre le seul roi de l’Europe, il le favorisa plus, en le rendant le plus puissant de tous.

Sa nation, qui, dans les pays étrangers, n’est jamais touchée que de ce qu’elle a quitté ; qui, en partant de chez elle, regarde la gloire comme le souverain bien, &, dans les pays eloignés, comme un obstacle à son retour ; qui indispose par ses bonnes qualites mêmes, parce qu’elle paroît y joindre du mépris ; qui peut supporter les blessures, les périls & les fatigues,