Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/310

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aimant mieux courir le risque de quelque infidélité particuliere (ce qui lui arriva quelquefois), que d’une révolte générale. Il respecta les traditions anciennes, & tous les monumens de la gloire ou de la vanité des peuples. Les rois de Perse avoient détruit les temples des Grecs, des Babyloniens & des Egyptiens ; il les rétablit[1] : peu de nations se soumirent à lui, sur les autels desquelles il ne fit des sacrifices. Il sembloit qu’il n’eût conquis, que pour être le monarque particulier de chaque nation, & le premier citoyen de chaque ville. Les Romains conquirent tout, pour tout détruire ; il voulut tout conquérir, pour tout conserver : &, quelque pays qu’il parcourût, ses premières idées, ses premiers desseins furent toujours de faire quelque chose qui pût en augmenter la prospérité & la puissance. Il en trouva les premiers moyens dans la grandeur de son génie ; les seconds dans sa frugalité & son économie particulière[2] ; les troisièmes dans son immense prodigalité pour les grandes choses. Sa main se fermoit pour les dépenses privées ; elle s’ouvroit pour les dépenses publiques. Falloit-il régler sa maison ? c’étoit un Macédonien : falloit-il payer les dettes des soldats, faire part de sa conquête aux Grecs, faire la fortune de chaque homme de son armée ? il étoit Alexandre.

Il fit deux mauvaises actions ; il brûla Persépolis, & tua Clitus. Il les rendit célèbres par son repentir : de sorte qu’on oublia ses actions criminelles, pour se souvenir de son respect pour la vertu ; de sorte qu’elles furent considérées plutôt comme des malheurs, que comme des choses qui lui fussent propres ; de sorte que la postérité trouve la beauté de son âme presque à côté de ses emportemens & de ses foiblesses ; de sorte qu’il fallut le plaindre, & qu’il n’étoit plus possible de le haïr.

Je vais le comparer à César. Quand César voulut imi-

  1. Ibid.
  2. Voyez Arrien, de exped. Alexand. lib. VII.