Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/322

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ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentans ; ce qui est très-à sa portée. Car, s’il y a peu de gens qui connoissent le degré précis de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable de sçavoir, en général, si celui qu’il choisit est plus éclairé que la plupart des autres.

Le corps représentant ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active ; chose qu’il ne feroit pas bien : mais pour faire des loix, ou pour voir si l’on a bien exécuté celles qu’il a faites ; chose qu’il peut très-bien faire, & qu’il n’y a même que lui qui puisse bien faire.

Il y a toujours, dans un état, des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs : mais, s’ils étoient confondus parmi le peuple, & s’ils n’y avoient qu’une voix comme les autres, la liberté commune seroit leur esclavage, & ils n’auroient aucun intérêt à la défendre ; parce que la plupart des résolutions seroient contre eux. La part qu’ils ont à la législation, doit donc être proportionnée aux autres avantages qu’ils ont dans l’état ; ce qui arrivera, s’ils forment un corps qui ait droit d’arrêter les entreprises du peuple, comme le peuple a droit d’arrêter les leurs.

Ainsi, la puissance législative sera confiée & au corps des nobles, & au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées & leurs délibérations à part, & des vues & des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est, en quelque façon, nulle. Il n’en reste que deux : &, comme elles ont besoin d’une puissance réglante pour les tempérer, la partie du corps législatif, qui est composé de nobles, est très-propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire. Il l’est premiérement par sa nature ; & d’ailleurs, il faut qu’il ait un très-grand intérêt à conserver ses prérogatives, odieuses par elles-mêmes, & qui, dans un état libre, doivent toujours être en danger.

Mais, comme une puissance héréditaire pourroit être induite à suivre les intérêts particuliers, & à oublier ceux