Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/347

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fit mourir ses enfans & tous ceux qui avoient conjuré pour les Tarquins. Ce pouvoir étoit exorbitant. Les consuls ayant déja la puissance militaire, ils en portoient l’exercice même dans les affaires de la ville ; & leurs procédés, dépouillés des formes de la justice, étoient des actions violentes, plutôt que des jugemens.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d’appeller au peuple de toutes les ordonnances des consuls qui mettoient en péril la vie d’un citoyen. Les consuls ne purent plus prononcer une peine capitale contre un citoyen Romain, que par la volonté du peuple[1].

On voit, dans la premiere conjuration pour le retour des Tarquins, que le consul Brutus juge les coupables : dans la seconde, on assemble le sénat & les comices pour juger[2].

Les loix qu’on appella sacrées donnerent aux plébéiens des tribuns, qui formerent un corps qui eut d’abord des prétentions immenses. On ne sçait quelle fut plus grande, ou dans les plébéiens la lâche hardiesse de demander, ou dans le sénat la condescendance & la facilité d’accorder. La loi Valérienne avoit permis les appels au peuple ; c’est-à-dire, au peuple composé de sénateurs, de patriciens & de plébéiens. Les plébéiens établirent que ce seroit devant eux que les appellations seroient portées. Bientôt on mit en question si les plébéiens pourroient juger un patricien : cela fut le sujet d’une dispute, que l’affaire de Coriolan fit naître, & qui finit avec cette affaire. Coriolan, accusé par les tribuns devant le peuple, soutenoit, contre l’esprit de la loi Valérienne, qu’étant patricien, il ne pouvoit être jugé que par les consuls : les plébéiens, contre l’esprit de la même loi, prétendirent qu’il ne devoit être jugé que par eux seuls ; & ils le jugerent.

La loi des douze-tables modifia ceci. Elle ordonna


  1. Quoniàm de capite civis Romani, in jussu populi Romani, non erat permissum consulibus jus dicere. Voyez Pomponius leg. 2, §. 16, ff. de orig. jur.
  2. Denys d’Halicarnasse, liv. V, pag. 322.