Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tisme, qu’au crime du monde le plus incertain, ils joignoient les preuves les plus incertaines.

Sous le regne de Philippe le long, les Juifs furent chassés de France, accusés d’avoir empoisonné les fontaines par le moyen des lépreux. Cette absurde accusation doit bien faire douter de toutes celles qui sont fondées sur la haine publique.

Je n’ai point dit ici qu’il ne falloit point punir l’hérésie ; je dis qu’il faut être très-circonspect à la punir.


CHAPITRE VI.

Du crime contre nature.


À DIEU ne plaise que je veuille diminuer l’horreur que l’on a pour un crime que la religion, la morale & la politique condamnent tour à tour. Il faudroit le proscrire, quand il ne feroit que donner à un sexe les foiblesses de l’autre ; & préparer à une vieillesse infame, par une jeunesse honteuse. Ce que j’en dirai lui laissera toutes ses flétrissures, & ne portera que contre la tyrannie qui peut abuser de l’horreur même que l’on en doit avoir.

Comme la nature de ce crime est d’être caché, il est souvent arrivé que des législateurs l’ont puni sur la déposition d’un enfant. C’étoit ouvrir une porte bien large à la calomnie. "Justinien, dit Procope[1], publia une loi contre ce crime ; il fit rechercher ceux qui en étoient coupables, non seulement depuis la loi, mais avant. La déposition d’un témoin, quelquefois d’un enfant, quelquefois d’un esclave, suffisoit ; sur-tout contre les riches, & contre ceux qui étoient de la faction des verds."

Il est singulier que, parmi nous, trois crimes, la


  1. Histoire secrette.