Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/376

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fois cinq des plus proches parens[1]. Ils chasserent une infinité de familles. Leurs républiques en furent ébranlées ; l’exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui marquerent le changement de la constitution.

Les Romains furent plus sages. Lorsque Cassius fut condamné pour avoir aspiré à la tyrannie, on mit en question si l’on feroit mourir ses enfans : ils ne furent condamnés à aucune peine. "Ceux qui ont voulu, dit Denys d’Halicarnasse[2], changer cette loi à la fin de la guerre des Marses & de la guerre civile, & exclure des charges les enfans des proscrits par Sylla, sont bien criminels."

On voit, dans les guerres de Marius & de Sylla, jusqu’à quel point les ames, chez les Romains, s’étoient peu à peu dépravées. Des choses si funestes firent croire qu’on ne les reverroit plus. Mais, sous les triumvirs, on voulut être plus cruel, & le paroître moins : on est désolé de voir les sophismes qu’employa la cruauté. On trouve, dans Appien[3], la formule des proscriptions. Vous diriez qu’on n’y a d’autre objet que le bien de la république, tant on y parle de sang-froid, tant on y montre d’avantages, tant les moyens que l’on prend sont préférables à d’autres, tant les riches seront en sûreté, tant le bas peuple sera tranquille, tant on craint de mettre en danger la vie des citoyens, tant on veut appaiser les soldats, tant enfin on sera heureux[4]. Rome étoit innondée de sang, quand Lepidus triompha de l’Espagne : &, par une absurdité sans exemple, sous peine d’être proscrit[5], il ordonna de se réjouir.


  1. Tiranno occiso, quinque ejus proximos cognatione magistratus necato. Cicéron, de inventione, lib. II.
  2. Liv. VIII, pag. 547.
  3. Des guerres civiles, l. IV.
  4. Quod felix faustumque sit.
  5. Sacris epulis dent hunc diem : qui secùs faxit, inter proscriptos esto.