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grand vice du gouvernement de Rome[1]. Dans les états despotiques, où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux ; témoin la Perse & la Chine[2]. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme les ports de mer & les villes de commerce. L’histoire des monarchies est pleine des maux faits par les traitans.

Néron, indigné des vexations des publicains, forma le projet impossible & magnanime d’abolir tous les impôts. Il n’imagina point la régie : il fit[3] quatre ordonnances ; que les loix faites contre les publicains, qui avoient été jusques-là tenues secrettes, seroient publiées ; qu’ils ne pourroient plus exiger ce qu’ils avoient négligé de demander dans l’année ; qu’il y auroit un prêteur établi pour juger leurs prétentions sans formalité ; que les marchands ne paieroient rien pour les navires. Voilà les beaux jours de cet empereur.


CHAPITRE XX.

Des traitans.


TOUT est perdu, lorsque la profession lucrative des traitans parvient encore, par ses richesses, à être une profession honorée. Cela peut être bon dans les états despotiques, où souvent leur emploi est une partie des fonctions des gouverneurs eux-mêmes. Cela n’est pas bon dans la république ; & une chose pareille détruisit la ré-

  1. César fut obligé d’ôter les publicains de la province d’Asie, & d’y établir une autre sorte d’administration, comme nous l’apprenons de Dion. Et Tacite nous dit que la Macédoine & l’Achaïe, provinces qu’Auguste avoit laissées au peuple Romain, & qui, par conséquent, étoient gouvernées sur l’ancien plan, obtinrent d’être du nombre de celles que l’empereur gouvernoit par ses officiers.
  2. Voyez Chardin, voyage de Perse, tome VI.
  3. Tacite, annales, l. XIII.