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CHAPITRE XIII.

Effets qui résultent du climat d’Angleterre.


DANS une nation à qui une maladie du climat affecte tellement l’ame, qu’elle pourroit porter le dégoût de toutes choses, jusqu’à celui de la vie, on voit bien que le gouvernement qui conviendroit le mieux à des gens à qui tout seroit insupportable, seroit celui où ils ne pourroient pas se prendre à un seul de ce qui causeroit leurs chagrins ; & où les loix gouvernant plutôt que les hommes, il faudroit, pour changer l’état, les renverser elles-mêmes.

Que si la même nation avoit encore reçu du climat un certain caractere d’impatience, qui ne lui permît pas de souffrir long-temps les mêmes choses ; on voit bien que le gouvernement dont nous venons de parler seroit encore le plus convenable.

Ce caractere d’impatience n’est pas grand par lui-même ; mais il peut le devenir beaucoup, quand il est joint avec le courage.

Il est différent de la légéreté, qui fait que l’on entreprend sans sujet, & que l’on abandonne de même. Il approche plus de l’opiniâtreté ; parce qu’il vient d’un sentiment des maux, si vif, qu’il ne s’affoiblit pas même par l’habitude de les souffrir.

Ce caractere, dans une nation libre, seroit très-propre à déconcerter les projets de la tyrannie[1], qui est toujours lente & foible dans ses commencemens, comme elle est prompte & vive dans sa fin ; qui ne montre d’abord qu’une main pour secourir, & opprime ensuite avec une infinité de bras.


  1. Je prends ici ce mot pour le dessein de renverser le pouvoir établi, & sur-tout la démocratie. C’est la signification que lui donnoient les Grecs & les Romains.